Quelles cultures se côtoient en prison et quelle culture s’y crée ? Intervenant : Bernard PETITGAS, docteur en sociologie

Condamné à 13 ans de détention Bernard Petitgas a préparé une thèse de sociologie et soutenu celle-ci peu de temps avant sa libération.

 Xavier DENECKER et Bernard PETITGAS

On arrive en prison avec une culture propre qui va peu à peu se transformer, sans que l’on puisse à proprement parler de culture carcérale. La prison est en relation totale avec la société dont elle est un des reflets : velléité sécuritaire qui conduit à une volonté de contrôle total qui est paradoxale avec l’injonction à l’autonomie qui est donnée aux personnes détenues. Toute une gamme de relations humaines va sous-tendre cette culture carcérale en construction. De la prédation à l’entraide gratuite, les relations entre détenus et les relations entre détenus et personnels de surveillance sont hiérarchiques et/ou transversales. Ces deux niveaux pouvant coexister dans une même relation et engendrer deux grandes formes de socialisation culturelle :

a. Les cultures intractives

Cultures conservatrices qui s’expriment dans l’espace informel des relations indispensables à la vie quotidienne, et qui tendent à maintenir dans les relations inter-détenus, ou entre administration et détenus, une hiérarchie dont le but est d’asseoir un pouvoir. Rapport de force, comportement de prédation, autant de comportements qui conduisent à une expérience du mépris chez les détenus mais aussi chez les personnels qui souffrent d’une forte dévalorisation sociale. Ces cultures sont limitées en termes d’interaction avec une recherche immédiate du lien et peu de réciprocité positive différée car la relation est contrainte et non choisie. Les liens sont peu durables et survivent rarement au temps d’incarcération. C’est une culture imposée par l’administration ou par la bande, subie plus que choisie, qui entre en contradiction avec l’injonction institutionnelle d’autonomie responsable.

b. Les cultures projectives

Cultures basées sur la construction libre du lien entre les individus dans une temporalité relationnelle consentie, fondée sur un bénévolat réciproque. Cette culture du don met en interaction des individus étrangers l’un à l’autre, ce qui nécessite autonomie et créativité dans les échanges. C’est une culture de la reconnaissance de l’autre pour ce qu’il est et non pour ce qu’il a fait, qui génère des échanges de compétences et induit un rapport revalorisé aux institutions. C’est aussi une culture d’exploration humaine qui débouche sur une reconquête identitaire : j’existe pour l’autre et j’existe pour l’institution. Elle permet de se réconcilier avec son passé, de se projeter dans l’avenir et de s’engager dans la (re)construction de l’estime de soi.

Synthèse des réponses aux questions posées par les congressistes

Dans l’analyse des relations entre détenus, il est important de ne pas oublier les relations avec les personnels. Il convient de les reconnaître comme des partenaires, des membres à part entière de la chaîne des liens entre personnes extérieures, détenus et Administration Pénitentiaire. La réinsertion commence dès le premier jour. Il est nécessaire d’ouvrir des champs de réflexion et d’appétence vers autre chose que la seule culture connue par le détenu, pour déboucher ensuite sur des pratiques d’ouvertures vers d’autres cultures. La prison est un lieu de vie, de mort, d’agression et de viol, mais aussi d’entraide, de rire et de lien social. Tout se mêle sans qu’il soit possible de désintriquer la part des pratiques positives et négatives. La culture du don est une culture d’interactions sociales parfois associée à une compétition entre donneurs et receveurs.

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